Brigitte Krulic
In Nietzsche’s works, the word « individual » is defined as a counterpoint, not to « herd », but rather to hierarchical society, which Antique Greece, the caste- society of India and monarchical France constitute the archetypes which recur throughout his work. Nietzsche developed an « archaistic » concept of the individual and the community. This concept suggests an analysis of democratic modernity which is both traditional and original. Nietzsche reuses the themes of the conservative vulgate as well as diatribes against the philistine age, so common in the works of many 19th century writers. His originality, however, lies in the conceptual link he creates between democracy (both a politically liberal democracy and a legal equality for individuals) and individualism as characteristics of Christianity, whereby all individuals enjoy equal rights. Nietzsche provides a coherent image of modernity generated by equality, as the basis of Christianity and of the democratic, utilitarian approach, oriented towards an economic rationality, which engenders its own idols : nationalism, anti-Semitism, anarchism, socialism, in other words, the perverse fruits of thedisillusion with the world, which replaces hierarchical order with equalitarian lack of differentiation. His hostility towards individualism in modern societies can be explained through the culture-erasing process of a German society on its way to democracy, in which holistic structures were stronger than in France or Great Britain.
Chez Nietzsche, le terme d’« individu » se définit en contrepoint, non du « troupeau », mais de la société hiérarchique dont la Grèce antique, l’Inde des castes et la France d’Ancien R égime constituent les archétypes omniprésents dans son œuvre. Ainsi s’élabore une conception « archaïsante » de l’individu et de la communauté qui inspire une analyse de la modernité démocratique tout à la fois très traditionnelle et profondément originale. Nietzsche, en effet, reprend les thèmes de la vulgate conservatrice et les diatribes, récurrentes chez de nombreux auteurs du XIXe siècle, contre l’âge philistin. Mais ce qui fonde son originalité, c’est la relation conceptuelle qu’il établit entre la démocratie, appréhendée au sens politique de démocratie libérale représentative, mais aussi et surtout au sens sociologique d’égalité juridique des individus, et l’individualisme né du christianisme, c’est-à-dire le postulat d’un sujet égal en droits à ses semblables. Il dessine une vision cohérente de la modernité dont le principe générateur n’est autre que le principe d’égalité, fondement du christianisme et de la pensée démocratique, utilitariste et orientée vers la rationalité économique, laquelle génère ses propres idoles, nationalisme, antisémitisme, anarchisme, socialisme, fruits pervers d’un désenchantement du monde qui substitue à l’ordre hiérarchique l’indifférenciation égalitaire. L’hostilité qu’il manifeste à l’encontre de l’individualisme des sociétés modernes s’interprète à la lumière du processus d’acculturation à la modernité d’une société allemande en voie de démocratisation, dans laquelle les structures holistes demeurent plus prégnantes qu’en France et Grande-Bretagne.