Les mathématiques s’apparentent-elles à une langue idéale, tellement univoque et précise que le problème pratique de la traduction d’une langue à une autre ne pose guère de problèmes ? Ce n’est pas si simple si nous considérons toutes les phases de la création mathématique, et non seulement la dernière, qui consiste à formaliser les résultats et par conséquent à atténuer le plus possible l’importance des subtilités linguistiques inhérentes au langage vernaculaire. Nous suggérons le point de vue suivant. Dans les phases antérieures à la formalisation, dans ces moments-clés qui consistent à décrire la situation, à esquisser une voie de solution, à discuter la procédure, à argumenter de la méthode, le plurilinguisme peut offrir une vision stéréoscopique permettant de prendre du recul, d’être plus critiques et de sortir de certains chemins trop balisés dans une langue unique. Pour illustrer cela, nous nous limitons au domaine des mathématiques classiques, où, à l’aide de trois exemples historiques, nous retraçons l’émergence de concepts et d’idées inattendus, émergence favorisée par des approches linguistiques différenciées et par le recul ainsi obtenu.